Les paroles du Christ se déploient avec ceux qui les lisent - qui les lisent à la clarté de leurs cinq sens. Avec leurs yeux, bien sûr, mais des yeux doués d'un regard longuement poli par la contemplation, aiguisé par la patience, vivifié par l'étonnement ; un regard à la fois vieux de milliers d'années, car s'enracinant dans les profondeurs du temps de la Révélation, et jeune à chaque aujourd'hui, car s'enfantant d'instant en instant, inlassablement tendu à la pointe du présent, ouvert à du neuf, à de l'insoupçonné - à de l'à venir. « Heureux vos yeux parce qu'ils voient » (Mt 13, 16) ; heureux par ce qu'alors ils discernent et qui les éclaire, affinant et affilant leur vue. C'est à ce délestage et à cette joie que nous convient les sermons du Père François, la joie de lire avec nos cinq sens, et de développer, à notre tour et à notre mesure, un sixième sens : celui du chant silencieux, du picorement de la lumière, d'une continuelle migration intérieure pour découvrir les trouées d'infini secrètement inscrites dans notre finitude. « A vrai dire, tous les sermons sont aux oiseaux (qui) font du ciel une terre et de la terre un ciel », qui font du ciel un texte et de ce texte un haut chant de la terre. Qui font de tout un vol dans l'immensité.
La Crèche et la Croix réunit cinq textes d'Edith Stein : une conférence prononcée en janvier 1931 sur le mystère de Noël et quatre méditations sur le thème de la Croix et du mystère pascal, composées entre 1934 et 1941. Il peut paraître étonnant d'associer sous le même titre le mystère joyeux de la naissance du Christ et le mystère douloureux de sa passion. C'est Edith Stein elle-même qui dans Le mystère de Noël met en lumière la logique profonde de ce rapprochement : Les mystères du christianisme forment un tout indivisible. Si l'on se plonge dans l'un, on est conduit à tous les autres. C'est ainsi que le chemin qui commence à Bethléem mène immanquablement au Golgotha, de la crèche à la croix. Entre Noël et Pâques Edith Stein voit se dérouler le dessein d'amour de Dieu pour l'humanité, appelée à la rédemption par sa configuration progressive au Fils de Dieu, dans l'Eglise qui est son Corps. Le chrétien doit vivre toute la vie du Christ. Il doit grandir jusqu'à atteindre l'âge adulte du Christ, et un jour commencer sa montée vers le Golgotha. La Crèche et la Croix anticipe de manière bouleversante le propre chemin de croix d'Edith Stein, scellé par son martyre à Auschwitz, en août 1942.
Ces Trois entretiens sur la guerre, la morale et la religion constituent le dernier livre de Vladimir Soloviev (publié peu de temps après sa mort, en 1900). On peut à juste titre y voir le testament philosophique, politique et religieux de celui qui a sans doute été le plus grand penseur russe du XIXe siècle. Trois protagonistes : un Général, un Homme politique et Monsieur Z (alias Vladimir Soloviev), personnifications des vérités du passé, du présent et de l'avenir, s'opposent dans un dialogue très vif au représentant de l'erreur sous toutes ses formes qu'est le Prince (disciple de Tolstoï et à ce titre agent d'une confusion mentale et spirituelle qui en fait un précurseur de l'Antéchrist). A travers ces trois entretiens , Vladimir Soloviev montre le caractère indispensable de l'Etat, de la culture, de l'Eglise - du progrès et des institutions humaines en général - au moment où une lumière crépusculaire commence à descendre sur les valeurs qui formaient la civilisation occidentale. Au fil d'un dialogue où s'entremêlent admirablement gravité et humour, la courtoisie des échanges se voit perturbée par le sentiment d'une menace diffuse, qui altère la limpidité de l'atmosphère. Un temps s'achève. Un autre commence, prélude à ce temps de la fin des temps (le nôtre ?) que décrit en conclusion le Court récit sur l'Antéchrist, où face à la persécution que l'Antéchrist a déclenchée contre les chrétiens du monde entier, les représentants de l'Orthodoxie (le moine Jean) et du Protestantisme (le pasteur Paulus) prennent refuge auprès du pape Pierre II, qui scelle dans le martyre le retour à l'Unité des communautés chrétiennes divisées.
Sous le nom de « Frère Benoît » Maurice Zundel alors en retraite à l'abbaye d'Einsiedeln a écrit en 1926 une méditation poétique sur la messe : le poème de la sainte liturgie.
Cette première version oubliée n'a jamais été rééditée. Elle diffère de la deuxième édition, plus développée et réimprimée à de nombreuses reprises, par son désir de ne pas étouffer le texte par un commentaire discursif des gestes et des mots. Le poème de la sainte liturgie se veut être, précisément, une oeuvre poétique : un poème, sous la forme d'un palimpseste qui prolonge en même temps qu'il l'éclaire chaque partie de la messe. Mais le poète Maurice Zundel est aussi un philosophe de la liturgie. On trouve déjà dans ces pages de jeunesse le thème central qui traverse l'ensemble de son oeuvre :
Tout reconduire à la vie - à la vie de Dieu. « A qui regarde du dehors les verrières d'une cathédrale, la fête de lumière demeurera pour toujours étrangère : de même, pour qui l'envisage du dehors, le Dogme reste obscur. Chacune des formules de Foi apporte, cependant, la solution d'un Problème de Vie. Ce n'est pas qu'on ait toujours explicitement distingué les éléments qu'il s'agissait de concilier. Mais il s'est toujours trouvé, qu'en leur laissant leur maximum de valeur, on les avait, sans violence, ramenés à l'Unité. On atteignait, d'instinct, à cet Ordre mystérieux, où les antinomies, vaincues, rendent témoignage à la Sagesse et à l'Amour. Aujourd'hui, on pense communément que le partage se fait ainsi :
Aux croyants : le Ciel, - aux habiles : la terre. C'est faux : la terre fait partie du Royaume de Dieu. C'est un tout indivisible, un ensemble parfaitement lié ». Où le voir ? Dans la liturgie.
Un peintre (Zef Heyst) tente de ramener Ellen disparue. Il en avait fait son modèle - une présence qu'il s'efforçait de convertir en objet. La disparition d'Ellen n'est que la manifestation de l'absentement qu'opère la peinture : le modèle comme inversion du rapport entre l'image et le réel, celui-ci n'étant plus qu'un instrument, un point de départ au service de l'originalité du tableau. Mais comment faire revenir la chair avec des pots de pigments ? Telle est la moralité de ce petit livre qui se déchire de lui-même : l'art ne sauve pas. Vains sont ses exercices de résurrection. Le bouche à bouche s'épuise contre les lèvres d'une statue. Tout juste peut-il faire signe vers ce qui lui échappe. Sitôt qu'il croit s'en emparer, il se piège à ses propres leurres, et ses incantations deviennent «comme une langue qui s'avalerait elle-même ». Sans doute sommes-nous des animaux de parole, et seul ce qui est vivifié par la parole entre dans une plénitude de vie. Mais la nôtre n'est pas le Verbe sauveur. Elle n'a de vérité que dans sa défaillance - prière ou cri.
Alain Bonfand est professeur d'esthétique et de théories de l'art à l'Ecole nationale supérieure des beaux-arts de Paris.
La Fragilité et la Grâce se présente comme le journal spirituel tenu par un frère prêtre de la Communauté du Chemin Neuf. Régulièrement, Olivier Turbat consigne dans l'écriture la réponse donnée jour après jour à l'action de la grâce, avec ses difficultés mais toujours habité par le désir d'y correspondre. Journal personnel, que pourtant le lecteur peut s'approprier. Car si la grâce prend plusieurs formes, la fragilité nous est commune. Livre de vie donc, et compagnon et guide sur un chemin parcouru par un frère auquel nous lient la grâce et notre condition. Que doit-on comprendre par fragilité ? Peut-être la seule véritable condition à l'action de Dieu en nous ; quand nous ne pouvons plus rien faire, quand nous n'en pouvons plus, il nous reste seulement que de vouloir consentir, d'un regard, d'un geste. D'un mot. Une attente dans la patience. Ce chemin de grâce, Olivier Turbat l'éprouve aujourd'hui dans la fragilité physique résultant d'un AVC.
Olivier Turbat, après une formation chez les Jésuites, est prêtre dans la Communauté catholique à vocation oecuménique du Chemin Neuf née à Lyon en 1973.
Pour Gilles Baudry la poésie est l'intuition de l'infini, un lieu de rencontre entre le visible et l'invisible, un chant de sève humaine, qui s'adresse à ce qu'il y a d'inaliénable en chacun. La poésie est une voix accordée au silence, un chant-respiration de l'être né de l'écoute, de l'attention extrême. « Tout homme porte en lui un logos poétique », dit saint Basile. Des pans entiers de l'Écriture relèvent d'une forme poétique, lyrique.
À commencer par les psaumes. Ainsi, prière et poésie ne sont qu'élan et balbutiement devant la grandeur de Dieu; ensemble, elles ouvrent une fenêtre sur l'infini et transforment le quotidien en éternel.
C'est ce charisme à la fois poétique et prophétique qui anime Demeure le veilleur, un recueil composé de prières psalmiques et d'aphorismes spirituels. «Le moine, comme le poète, écrit Gille Baudry, est un veilleur. Les mots font penser à un vitrail qui répand sa lumière devant le Saint Sacrement. C'est une petite épiphanie fragile, ténue, du réel. En tant que poète, je tente de faire une métaphore voilée de la Présence.»
Avec la béatification de John Henry Newman par Benoît XVI en septembre 2010, la nécessité s'impose d'une introduction simple à la pensée du grand converti d'Oxford.
Ce livre veut y répondre en abordant les questions auxquelles Newman fut confronté dans sa recherche de la vérité: le rôle et la nature de la conscience, son lien avec l'enseignement de l'Église, le développement de la doctrine à travers le temps, la rationalité de l'acte de foi, l'importance de la culture. En exposant ces différents thèmes, le cardinal Honoré a toujours soin de ramener la pensée de Newman à ce désir du "face à face" avec Dieu qui est au coeur non seulement de l'oeuvre de Newman, mais aussi de sa spiritualité.
Véritable biographie intellectuelle et spirituelle, cette introduction permet au lecteur français de découvrir la figure d'un nouveau saint, qui est aussi, sans doute, un futur docteur de l'Église.
Soeurs ennemies ou soeurs jumelles, servante et maîtresse ou compagnes de labeur, s'ignorant l'une l'autre ou unies au point de presque s'identifier, la foi et la raison entretiennent à l'évidence une relation intense et tumultueuse. N'est-ce pas justement au coeur du mouvement qui tantôt les rapproche tantôt les oppose que s'ajuste leur rapport ? Plus que d'un état stable acquis une fois pour toutes il s'agit bien d'une dynamique, d'un processus.
C'est ce que rappelle l'image très évocatrice des deux ailes qui élèvent vers la vérité1 : elles ne découvrent leur fonction propre et leur harmonie que dans le battement qui les confie au vide. Et parce que leur point d'équilibre se trouve à la jonction de forces opposées de déséquilibre, il est sans cesse à reprendre. Le heurt devient soutient. C'est ce que l'on nomme, pour l'oiseau, le vol. C'est aussi la visée du présent ouvrage, qui rassemble les fruits d'un colloque de théologie et de philosophie tenu à l'initiative des deux instituts de formation de la Communauté du Chemin Neuf, le Studium de Philosophie de Chartres et l'Institut de Théologie des Dombes.
Les contributions proviennent d'enseignants-chercheurs de l'Université catholique de Lyon, du Centre-Sèvres (Facultés jésuites de Paris), de l'Institut Catholique de Paris et de la faculté de théologie protestante de l'Université de Strasbourg : Marguerite Léna - Bénédicte Bouillot - Isabelle Bochet - Mustapha Amari - Etienne Vetö - Jean-Noël Dumont - Laurent Gallois - Philippe Soual - Blandine Lagrut - Jérôme de Gramont - François Lestang - Christian Grappe - Ken Yamamoto - Vincent Holzer - Marie-Hélène Robert - Paul Valadier - François de Muizon - Jean-Pierre Lemaire - Pascal Ide - Emmanuel Gabellieri - Emmanuel Falque - Laurent Fabre
Les inédits qui composent ce nouveau volume d'écrits de Père Jérôme ont pour objet l'Eucharistie.
S'ils n'en traitent pas d'une manière exhaustive, ils disent cependant l'essentiel. Père Jérôme était un vrai moine, c'est-à-dire un homme unifié. Sacerdoce et vie monastique, deux réalités que l'on aime opposer, étaient vécues chez lui dans une profonde harmonie. C'était là l'expression parfaite de sa réponse à l'appel de Dieu, perçu dans son adolescence, puis au seuil de sa vie d'adulte : la gloire et le culte de Dieu, la relation intime avec la personne de notre Seigneur, ferments de son intercession pour le salut des hommes.
Adressés, dans les années 1970, à un jeune moine qui se préparait à devenir prêtre, ces textes transmettent une expérience toujours d'actualité.
Depuis plusieurs siècles, l'église en est venue à ne plus avoir que la " garde des âmes ", laissant les corps au soin de l'état.
Dans la société moderne, la mission du chrétien se cantonnait désormais à " spiritualiser " les structures de la vie politique et publique. cette mission a été notamment exposée par les partisans de la " chrétienté profane ", inspirée par jacques maritain. or, cette théorie n'envisageait guère l'éventualité d'un temps de persécution où il faudrait que l'église, corps du christ, résiste " corporellement " : où des catholiques, fidèles à l'état, puissent être impliqués contre d'autres catholiques, jugés infidèles, comme ce fut le cas au chili sous le régime de pinochet.
Résidant au chili dans les années 1980, william cavanaugh a été témoin de ce régime de terreur, du caractère " rituel " de la pratique de la torture par l'état, en une simiesque liturgie de mort, et de l'inefficacité de la hiérarchie de l'église chilienne, formée à l'école de la " chrétienté profane ", face à cette persécution menée par des catholiques contre des catholiques au nom de l'état. revenu aux états-unis, où il enseigne la théologie, william cavanaugh a voulu montrer comment, progressivement, l'église a su faire échec à la politique de mort de la junte militaire.
à la fois témoignage vécu et réflexion théologique, ce livre exceptionnel jette une lumière radicalement nouvelle sur les événements du chili, sur les impasses d'une certaine ecclésiologie, et sur les défis que va bientôt devoir relever l'église d'occident si elle veut retrouver sa place légitime dans la cité des hommes.
Ces vingt-trois Méditations sur la doctrine chrétienne sont extraites d'un livre que le cardinal Newman laissa inachevé à sa mort. Elles peuvent être considérées comme le couronnement spirituel de la réflexion à la fois théologique et philosophique poursuivie dans l'Essai sur le développement de la doctrine chrétienne et dans la Grammaire de l'assentiment. En méditant sur les grands thèmes de la doctrine chrétienne - la Trinité, l'Incarnation, les mystères de la vie du Christ, l'Eucharistie, etc. - Newman ne veut plus ici analyser ou défendre la foi de l'Église, mais simplement contempler, rendre grâce pour l'oeuvre de la miséricorde divine, dans un coeur à coeur intime avec Dieu. On retrouvera également dans ces méditations les thèmes principaux de la spiritualité newmanienne : la voix de la conscience, Dieu et l'âme, la sainteté plutôt que la paix, qui placent Newman parmi les grands auteurs spirituels de l'Église.
La branche féminine de l'ordre des chartreux (fondé en 1084 par saint bruno de cologne) est née au milieu du xiie siècle, vers 1150, lorsque les moniales de prébayon en provence décidèrent d'embrasser la règle de vie des chartreux.
Depuis cette époque, l'histoire des moniales ne s'est jamais interrompue. solidement établis en france depuis les origines, puis en italie, en espagne et depuis peu en corée du sud, les monastères féminins illustrent, dans la discrétion la plus complète, l'idéal de vie cachée en dieu transmis par saint bruno. a l'écart du monde, dans ce tout-à-dieu de la pauvreté matérielle, du recueillement et de la prière, les moniales chartreuses vivent ce " grand sacrement qui s'accomplit en solitude entre le christ et l'eglise " que mentionnent les statuts.
Elles témoignent ici par leurs paroles et leur humble présence de cette lumière inaltérable de la vie divine vécue dans la fidélité à leur profession.
1864. Newman est seul, ignoré, presque dédaigné dans l'Eglise catholique qu'il a rejointe vingt ans plus tôt. Profitant de ces circonstances, un intellectuel anglican, Charles Kingsley, défie l'ancien leader du Mouvement d'Oxford en mettant en cause l'honnêteté intellectuelle de sa conversion. Kingsley croyait enterrer un moribond. En réalité il venait de réveiller un lion. Newman répliqua immédiatement. Fouillant sa mémoire, réunissant lettres et documents, il produisit en quelques semaines l'histoire des raisons qui le conduisirent à devenir catholique: l'Apologia pro vita sua. Le livre retourna l'opinion de l'Angleterre. Dans la prose majestueuse de l'Apologia, le catholicisme rayonnait de cette "splendeur de la quitté en 1845. Mais ce rayonnement ne voulait pas être aveuglant. "" Pour aller jusqu'au bout de ce qu'il jugeait la vérité, écrivait le pape PaulVI, Newman a renoncé à l'Eglise d'Angleterre non pas pour se séparer d'elle, mais pour l'accomplir. Il ne cessait pas de croire ce qu'il avait cru, mais il le croyait davantage encore, il avait porté sa foi anglicane jusqu'à sa plénitude. Une conversion est un acte prophétique. Newman a vécu l'histoire de la réunion future, de cette récapitulation en Jésus-Christ dont le moment nous est encore caché, mais à laquelle nous aspirons tous."
Un livre sur l'amour.
Comme un peintre impressionniste, le Père Michel-Marie Zanotti-Sorkine fixe dans ces mots des êtres, des visages, des scènes, des occasions d'aimer ou de moins aimer. Pas de morale ici, mais une langue forgée à l'école de l'intelligence du coeur chère à Pascal, éclatante, chatoyante, tranchante aussi, pour éveiller les intuitions, décaper les idées reçues, révéler l'amour dans les recoins du quotidien - faire miroiter les facettes du coeur humain dans sa prédestination à aimer et sa vocation toujours compromise.
De l'amour en éclats raconte une humanité inquiète et blessée, mais destinée à la beauté des gestes et des sentiments. Nous éclairer sur le règne de l'amour, c'est l'intention de ce livre riche d'une grande expérience humaine et spirituelle, où l'auteur veut élever notre regard intérieur jusqu'à ce point où les êtres et les choses apparaissent dans la lumière d'un autre regard, qui leur donne d'être.
Qui leur donne l'être. Par amour.
Père Jérôme était un grand lecteur. La lecture était pour lui une nécessité vitale en vue de la prière.
En 1979, j'ai demandé à Père Jérôme de m'indiquer les passages préférés dans ses propres écrits. Après bien des hésitations - car il acceptait rarement une demande la première fois -, il se lança dans ce travail, alors qu'il était déjà souffrant à l'infirmerie. Mais, et comme cela se produisait souvent, il fit mieux, beaucoup mieux que la demande.
Il entreprit de copier lui-même, à la main, un carnet d'extraits en l'illustrant selon son inspiration. Il « bouclait » ainsi une pratique commencée dans sa jeunesse monastique dont il nous reste deux magnifiques carnets calligraphiés de textes de la sainte Écriture et de grands auteurs.
Ce carnet, publié aujourd'hui sous forme de facsimilé, nous indique discrètement ce qu'il considérait comme le plus important dans ses propres travaux, c'est-à-dire ce qui pourra le mieux nous aider à tenir devant Dieu.
Ce carnet montre, en plus, un très bel aspect de la personnalité de Père Jérôme, ce que j'appellerais son élégance et l'amour du travail bien fait.
En lisant ces notes, on perçoit le travail immense sur lequel elles s'appuient et la puissante finesse du résultat : suprême élégance d'un but considérable, atteint avec les moyens les plus légers : une plume, un carnet et surtout une longue fidélité.
Un mot - un seul - écoute bien, murmurele - oraison - son amplitude, le doux épanouissement des sonorités, la grâce d'un souffle ternaire, pour te dire ce qu'elle est, ce que tu deviendras. La ronde et majestueuse ouverture d'une première voyelle - éclosion se prolongeant d'une deuxième syllabe - extension, couleurs d'horizon d'une longue finale, flottante terminaison, suspension indéfinie comme dans les lointains.
Les deux mots, bien au-delà de la rime, par l'étalement de leur résonance, se révèlent si proches. L'oraison silencieuse étend la prière d'un horizon intérieur. L'oraison laisse descendre en nous, fait habiter en nous, véritablement, un horizon : sa ligne, son espace, son tremblement. La prière t'apprendra une chose très simple qui ne se comprend bien que dans l'ordre du vivant : Dieu n'est pas une croyance.
Plutôt une insistance - quelque chose comme un pressentiment que rien ne peut amoindrir et qui porte en lui-même l'aplomb des évidences. Parce que Dieu est amour - parce qu'il est lumière - parce qu'il est esprit - Dieu est le nom d'un feu qui s'éteint sous le couvert de la moindre pensée. Croire en lui, depuis l'étrangeté du premier appel, loin dans la nuit étoilée sur Abraham, du fond de l'immensité liquide portant Noé, revient à miser toute sa vie sur ce qui ne se voit pas mais se donne à vivre, non point en partie, mais par le tout de la vie rassemblée qui fait l'expérience.
Le silence ne se partage pas, il ne se vide pas comme il ne s'emplit pas. Il est en lui-même une totalité et ne se donne qu'à plein bord.
À l'origine de ce petit traité rédigé en 1976, on trouve les débats récurrents sur la place et la fonction de la femme dans l'Église, mais aussi dans la société. La lutte contre les inégalités tendait à réclamer voire imposer une « indifférence aux différences » entre les sexes. Pourquoi, au nom de cette égalité, ne pas autoriser l'accès de femmes au sacerdoce ? Louis Bouyer répond en remontant à la source (théologique) de la problématique (sociologique). Considérer la distinction et la complémentarité entre les sexes à un niveau social, historique et anthropologique ne suffit pas. Il faut s'aventurer jusqu'à prendre en compte le plus essentiel en théologie : le mystère de la vie trinitaire. Voilà pourquoi Mystère et ministères de la femme conserve toute sa pertinence aujourd'hui. La situation post-conciliaire a fourni le prétexte pour éclairer le cheminement de l'humanité, dont la dualité sexuée apparaît sinon comme un mystère, au moins comme un défi. Dans cet essai prophétique, rédigé d'une traite mais fruit de quantité de travaux, d'expériences et de méditations, Louis Bouyer a voulu « déblayer le terrain » ou « la voie » pour qu'en Église la femme trouve un ministère ajusté à son mystère.
Né dans une famille protestante, Louis Bouyer (1913-2004) est ordonné pasteur luthérien en 1936 après des études de lettres et de théologie. En 1939, l'étude des Pères de l'Église le conduit vers l'Église catholique. Il est considéré comme l'un des plus grands théologiens français du xxe siècle.
Janine Modlinger ne cesse de vivre ce que Philippe Jaccottet a appelé des «rencontres illuminantes ». Elles ont lieu pour elle à tout instant, car tout instant rayonne d'un feu mystérieusement partagé, à la fois singulier et universel. Il suffit de lever les yeux et d'être à l'écoute.
La présence qui, dit-elle, demeure « au-delà de la beauté » peut se révéler aussi bien dans l'ivresse tremblante des feuillages où joue le soleil que dans la vue d'un être connu depuis longtemps, qui « apparaît un jour dans sa lumière propre. » C'est alors que la simple vue devient vision et que « chaque petit détail que notre regard a salué » donne le sentiment de la merveille.
«Après avoir passé une heure devant la place Jussieu, occupée à lire, à écrire quelques mots, mon regard rencontre tout à coup la splendeur du feuillage, souple sous le vent, presque transparent. Je me surprends en défaut de regard, figée dans mes limites. Une sorte de honte m'envahit, comme s'il y avait là un manque envers la vie, qui nous demande d'être regard et attention.»
Ces Fragments réunissent thématiquement une collection de propos échangés entre Dom Jean-Baptiste Porion (1899-1987) et un autre moine chartreux, notamment sur le taoïsme, la mystique d'Hadewjich d'Anvers et des Rhéno-flamands, ou les réformes de Vatican II, recueillis sans ordre explicite au fil des ans et des dispositions intérieures. Ceux qui liront ce livre ne seront pas nécessairement chartreux, ni religieux ni même, peut-être, prédisposés au silence contemplatif ou à la prière. Ils y découvriront la hauteur d'une pensée qui ne s'est pas détournée des plus hautes sagesses : issues du temple de Delphes, des écrits taoïstes de Lao Tseu ou de Tchouang Tseu, de la mystique nuptiale des béguines ou de celle de l'Essence des Rhéno- Flamand. Cette sagesse, une et multiple à la fois, a trouvé sa croissance et son équilibre sur le fin fil de l'Absolu où l'amour de Dieu livre son éclat dans une déprise patiente et tranquille de soi : « Celui qui dit je vois, ne dit plus je veux ». C'est l'essence même de la vocation cartusienne qui est exposée ici à travers le cristal d'une intelligence exceptionnelle, douée d'un rare pouvoir d'analyse et de synthèse, érudite et passionnée et pour qui le chemin de soi à Dieu n'emprunte aucune courbe, attachée à la seule voie droite de l'oubli du monde, le regard plongé dans l'infini.
Louis Bouyer (1912-2004) est l'une des plus grandes figures de la pensée chrétienne en France.
Né à Paris dans le protestantisme luthérien.
Ordonné pasteur en 1934, il vit son ministère dans un contact fraternel avec les milieux orthodoxes russes de la diaspora (Serge Boulgakov) et le monachisme bénédictin (Abbaye de Saint- Wandrille). A travers ce double contact, il se rapproche de l'Eglise catholique, dans laquelle il reconnaît l'Eglise fondée par le Christ, et y entre en 1939. Il deviendra prêtre de l'Oratoire, et partagera son ministère entre la France et les Etats- Unis. A sa mort, il laisse une oeuvre riche d'une cinquantaine de titres, qui dessine les contours d'une théologie enracinée dans ce qu'il y a de plus authentique dans la pensée catholique, orthodoxe et réformée.
Venez car tout est prêt est le tout premier livre de Louis Bouyer, écrit en 1936, alors qu'il était encore pasteur luthérien, et qui n'a jamais été réédité depuis sa première parution. Louis Bouyer le considérait comme son meilleur livre. Il est composé de trois lettres adressées à ses fidèles, pour les préparer à leur première communion. On y trouve déjà tous les thèmes que Louis Bouyer développera ultérieurement comme catholique:
La liturgie comme rencontre personnelle avec le Christ, dans sa Parole, puis l'eucharistie comme communion au Christ, et en Lui avec tous les hommes et avec le cosmos tout entier, qui apparaît transfiguré. Mystère d'unité et mystère d'amour: Louis Bouyer n'aura rien à changer à sa vision de l'eucharistie une fois devenu catholique. Un petit livre admirable de beauté spirituelle.
Après dix années de travail et de réflexion sur la question de la croyance religieuse, John Henry Newman publie en mars 1870 la Grammaire de l'assentiment, qui est son testament philosophique.
Dans ce livre, Newman veut démontrer que l'acte de foi posé par l'intelligence devant le mystère révélé, même s'il est obscur, ne signifie pas que la raison renonce à ses propres exigences, ou se contente de moins de rationalité que la démonstration philosophique ou scientifique. La certitude religieuse est rationnelle, mais le chemin qui y conduit dépasse la rationalité étroite héritée des Lumières.
Elle comprend l'affectivité, le coeur : " c'est l'homme tout entier qui pense " affirme Newman, et qui sent, qui aime. L'adhésion à la révélation peut être aidée par des arguments philosophiques, mais pour Newman c'est avant tout par l'écoute intérieure de la conscience, par une attention de l'intelligence à cette voix qui résonne au plus profond de nous, toujours plus claire et transparente à mesure que nous y sommes attentifs, que nous pouvons percevoir la présence de Dieu en nous, dans le monde, dans l'Église.
Dans cette perspective, le magistère de l'Église ne vient pas violer de l'extérieur l'homme et sa liberté. Au contraire, il fait écho à la voix de la conscience et achève de la former et de l'affiner en mettant un visage sur cette voix fragile et pure tout à la fois-la Parole de Dieu faite chair en Jésus-Christ.
Comment mener la vie monastique au XXIe siècle ? Comment être fidèle à notre vocation de chrétien dans une société aux valeurs éclatées ? Malgré le désarroi qui règne autour de nous, nous devons transmettre la foi chrétienne. Mais notre responsabilité ne s'arrête pas là. Nous devons encore former des hommes appelés par Dieu à devenir moines et prêtres, afin qu'ils soient capables de vivre et transmettre à leur tour l'héritage que nous avons reçu. C'est en puisant dans les trésors d'humanité de ceux qui furent, et sont encore, mes maîtres dans la vie monastique, et en m'appuyant sur de fermes repères dogmatiques et spirituels, que j'évoque les questions de toujours : la prière, le sacerdoce, l'Eucharistie, la Vierge Marie et, illustrés par l'expérience, l'exercice de l'autorité, la souplesse du disciple, la lucidité, l'humilité. Si je devais en un mot résumer ce livre, je dirais : Courage ! De ce courage qui ne craint pas l'épreuve et sait qu'elle fait partie de l'existence. Courage, cela veut dire : agir avec le coeur.